Culture

Pourquoi célébrons-nous le 4 juillet et pourquoi beaucoup d’Américains noirs ne le font pas

Le 4 juillet, fête nationale aux États-Unis, commémore un événement historique majeur : la signature de la Déclaration d’Indépendance par le Congrès continental. Cette étape décisive a marqué la naissance d’une nouvelle nation, résolument libre pour toujours. Si l’on regarde précisément les dates, c’est en réalité le 2 juillet 1776 que le vote unanime en faveur de l’indépendance par rapport à la monarchie britannique a été réalisé. Cependant, ce n’est que deux jours plus tard, le 4 juillet, que la Déclaration a été officiellement adoptée. Rédigée principalement par Thomas Jefferson, ce document a expliqué les raisons pour lesquelles les colonies cherchaient à se séparer de la Grande-Bretagne, tout en affirmant des droits fondamentaux tels que “la vie, la liberté et la recherche du bonheur.” La signification du 4 juillet est donc profondément liée à ces principes fondamentaux.

Premiers Divertissements et Histoire des Célébrations du 4 Juillet

Selon le site History.com, à l’origine, les colons festoyaient surtout en célébrant l’anniversaire du roi Charles III, le monarque britannique. Mais une fois la Révolution américaine achevée, cette date est devenue un symbole de la rupture avec le roi et la célébration de l’indépendance des colonies. Ces commémorations comprenaient souvent des critiques ou des moqueries à l’égard du pouvoir royal.

Dès leurs débuts, ces fêtes ressemblaient déjà aux célébrations modernes : concerts, feux de joie, tirs de canons et de fusils, feux d’artifice, défilés, etc. En 1870, cette journée est devenue une fête nationale officielle à l’échelle fédérale. Elle revêtait alors une importance politique et sociale considérable, et cette signification perdure encore aujourd’hui. Au fil du temps, cependant, la commémoration a évolué : elle a surtout été perçue comme une journée de détente à partir de 1941, lorsque tous les employés fédéraux ont obtenu un jour de congé. Aujourd’hui, elle est souvent accompagnée de rassemblements familiaux, de barbecues, de feux d’artifice, de baignades, et d’autres activités de loisirs. Pourtant, les idées de liberté universelle et de patriotisme restent au cœur de la fête.

Cependant, cette évolution pose problème à une partie de la population américaine, notamment aux citoyens noirs.

L’Hypocrisie du 4 Juillet

Les valeurs fondatrices de cette fête tournent autour de l’indépendance, de la liberté, et du droit à la vie, la liberté et le bonheur. Pourtant, pour nombre d’Américains, ces principes n’ont pas été véritablement accessibles dès le 4 juillet 1776. En effet, à cette époque, des millions d’Afro-Américains étaient encore réduits en esclavage. Leur présence dans le pays avait été assurée depuis plusieurs décennies par la traite atlanticique. La liberté juridique n’a été accordée à ces personnes qu’après la proclamation d’émancipation d’Abraham Lincoln en janvier 1863, puis après l’adoption du 13e amendement, en décembre 1865, qui a officiellement aboli l’esclavage en Amérique.

Ce n’est qu’environ un siècle après la fête de l’indépendance que les Afro-Américains ont obtenu leur liberté légale. Mais, même après cela, une longue période de discrimination, d’oppression et d’inégalités a suivi, et cela perdure encore sous plusieurs formes aujourd’hui. La contradiction flagrante entre la célébration de la liberté tout en maintenant l’esclavage de certains et le traitement injuste d’une population spécifique explique pourquoi beaucoup d’Afro-Américains, ainsi que d’autres groupes, choisissent de ne pas célébrer le 4 juillet.

Pourquoi certains Afro-Américains refusent-ils de fêter le 4 juillet ?

Dana P. Saxon, éducatrice et chercheuse, explique notamment que la Compromission des Trois-Cents Cinquante-Cinqième (ou Compromis de 1787), qui avait été conclu lors de la Convention constitutionnelle, est l’un des facteurs qui motive cette attitude. Ce compromis avait été négocié pour faire plaisir aux États du Sud, qui souhaitaient pouvoir compter les esclaves dans leur apport en population pour renforcer leur représentation à la Chambre des Représentants. Les États du Nord, quant à eux, argumentaient que les esclaves n’avaient pas de droits civiques et ne pouvaient donc pas être comptés comme des personnes à part entière. La solution trouvée était de compter chaque esclave comme trois cinquièmes d’une personne. La célébration annuelle de la signature de la déclaration d’indépendance, un peu plus d’une décennie plus tard, a ainsi permis au gouvernement de reconnaître officiellement que ces personnes réduites en esclavage étaient considérées comme inférieures, en dépit de certains idéaux d’égalité.

Karen Greene Braithwaite, pour le magazine Reader’s Digest, précise de son côté que sa non-participation à la fête du 4 juillet vient du fait qu’elle voit dans cette célébration une histoire incomplète. Selon elle, la solidarité et l’unité mises en avant lors de cette journée ne peuvent exister sans qu’on n’admette les souffrances endurées par les Afro-Américains lors de la signature de la Déclaration. Comprendre pleinement l’histoire américaine, selon Braithwaite, revient aussi à reconnaître le rôle déterminant qu’ont joué les Afro-Américains dans la construction de ce pays. La méconnaissance de cette contribution rend impossible toute lecture sincère de l’histoire nationale.

“Sans des fêtes comme Juneteenth qui mettent en lumière la réalité vécue par les Afro-Américains, l’histoire des États-Unis demeure incomplète. Il est impossible d’en raconter une version cohérente sans tenir compte de l’esclavage et du travail des Noirs, qui ont été essentiels à la formation de notre société et de notre économie,” écrit Braithwaite. “Cette histoire est partout présente — depuis la Constitution jusqu’aux lois locales ou encore dans notre vie quotidienne — et beaucoup de logiques ou de choix ne peuvent se justifier sans cette compréhension.”

Une résistance historique face au 4 juillet

Tout au long de l’histoire, de nombreux Afro-Américains ont choisi de boycotter ou de ne pas célébrer cette date. Frederick Douglass, figure majeure de l’abolitionnisme, ancien esclave devenu orateur, écrivain, et militant, a prononcé un discours fameux le 5 juillet 1852, intitulé “Ce qu’est le 4 juillet pour l’esclave ?”. Ce discours s’est tenu lors d’un rassemblement organisé par la Société anti-esclavagiste des Dames de Rochester, en Nouvelle-York, pour célébrer la signature de la Déclaration d’Indépendance.

Douglass a débuté par saluer les idéaux de liberté et d’égalité évoqués par les pères fondateurs, puis il a dénoncé avec force l’hypocrisie de fêter la liberté tout en maintenant des millions de personnes en esclavage. Il a souligné la contradiction flagrante entre les valeurs proclamées dans la déclaration et la réalité de la brutalité et de la déshumanisation des esclaves, victimes de conditions extrêmement dures.

Son célèbre questionnement, “Les grands principes de liberté politique et de justice naturelle, inscrits dans cette Déclaration, nous concernent-ils aussi ?”, illustre la problématique centrale. Presque 200 ans plus tard, cette interrogation reste d’actualité, et explique en partie pourquoi une partie de la population refuse de participer à cette célébration.

Choisir le Juneteenth plutôt que le 4 juillet

Comme l’a souligné Braithwaite, une grande partie des Afro-Américains privilégient aujourd’hui la commémoration du Juneteenth, fête également appelée “Fête de la Liberté” ou “Fête de la Libération”. Elle célèbre chaque année, le 19 juin, la fin officielle de l’esclavage aux États-Unis. La date correspond à l’arrivée du général de l’Union Gordon Granger à Galveston, Texas, en 1865, qui annonça la fin de la Guerre de Sécession et la libération de tous les esclaves. Même si la Proclamation d’émancipation, en vigueur dès janvier 1863, avait annoncé la libération immédiate des esclaves dans certains États confédérés, ce n’est qu’en juin 1865 que leur liberté est devenue réellement effective dans le sud. La population esclavagiste de ce territoire n’a appris leur émancipation qu’au terme de cette longue attente. Il faut aussi souligner que, jusqu’à la ratification du 13e amendement en décembre 1865, l’esclavage restait légal dans plusieurs régions du pays.

Ce jour-là, en 2021, le président Joe Biden a officiellement inscrit cette journée comme jour férié fédéral.

Il n’est pas forcément problématique de continuer à fêter le 4 juillet

Il n’y a pas de mal à choisir de célébrer le 4 juillet. Aujourd’hui, cette journée est davantage consacrée à des moments de partage et de détente, et moins à une déclaration politique. Par conséquent, il est tout à fait compréhensible de vouloir profiter de ce jour de repos pour passer du temps avec ses proches et profiter des activités festives.

Pourtant, Braithwaite suggère que “le 4 juillet pourrait devenir une journée de réflexion pour chacun, afin d’examiner ce que cette date représente réellement dans l’histoire de ce pays.”

Jusqu’à ce que tous les Américains puissent vivre réellement l’expérience de « vie, liberté et le bonheur », utiliser ce jour pour réfléchir permet d’éviter que l’histoire de certains groupes, notamment celle des Afro-Américains, soit ignorée ou minimisée lors de cette célébration.

Questions Fréquentes

Que s’est-il réellement passé le 4 juillet 1776 aux États-Unis ?

Le 4 juillet 1776, le Congrès continental a officiellement adopté la Déclaration d’Indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Ce document proclamait que les colonies américaines n’étaient plus sous la domination du roi George III, et qu’elles étaient désormais libres et indépendantes. L’adoption de la déclaration a eu lieu le 4 juillet, même si la majorité des délégués ont apposé leur signature le 2 août de la même année.

Les esclaves ont-ils été libérés le 4 juillet 1776 ?

La majorité des esclaves noirs n’a été réellement libérée que des décennies plus tard, notamment avec la ratification du 13e amendement en décembre 1865, près de 100 ans après la signature de la déclaration. Bien que la Journée de l’Emancipation (Juneteenth) célèbre la date où l’annonce de la fin de l’esclavage a été officiellement diffusée dans le Sud, la fin légale de l’esclavage dans l’ensemble du pays n’a été inscrite dans la Constitution qu’avec l’adoption de cet amendement.

Aminata Joly

Aminata Joly

Journaliste française, née au Congo, je m’intéresse aux dynamiques sociales, culturelles et politiques qui traversent les communautés noires, en France et ailleurs. À travers mes articles, je cherche à questionner les récits dominants et à mettre en lumière des voix souvent marginalisées. Mon travail s’inscrit dans une démarche engagée, documentée et résolument antiraciste.