Les organisations à but non lucratif dirigées et soutenant la communauté noire en Californie jouent un rôle crucial dans l’économie de l’État. En 2024, ces structures emploient quelque 4 000 personnes et ont généré des revenus salariaux atteignant 335 millions de dollars. Malgré leur contribution significative, elles sont confrontées à des défis liés à un financement inégalitaire et à un manque de personnel adéquat. Environ 74 % de ces organisations évoquent un manque de ressources financières comme principal obstacle à leur recrutement et à leur fonctionnement optimal. La Black Equity Collective (BEC) a mandaté un rapport pour mettre en lumière l’impact économique de ces associations et proposer des recommandations afin d’accroître leur visibilité et leur soutien de la part des bailleurs de fonds.
Evolution récente du financement des organisations noires en Californie
Au cours des cinq dernières années, de nombreuses entreprises ont réduit, voire complètement supprimé, leurs financements en direction des associations noires ou soutenant la communauté noire, une tendance accentuée par plusieurs décisions législatives. La baisse des financements fédéraux concerne notamment les subventions et contrats liés aux questions de diversité, d’équité, d’inclusion et d’accessibilité (DEIA). Ces rétractions ont été influencées par la décision de la Cour suprême d’annuler la politique de discrimination positive dans l’enseignement supérieur, ce qui a limité l’accès au financement pour les étudiants issus de minorités, ainsi que par les décrets exécutifs de l’administration Trump criminalisant les initiatives DEIA.
Ce recul dans le soutien financier n’était pas une surprise pour certains acteurs. Kaci Patterson, fondatrice et dirigeante de la Black Equity Collective, anticipait ce phénomène. En 2024, elle a donc sollicité le concours du Nonprofit Finance Fund (NFF) pour réaliser une étude approfondie. L’objectif était d’évaluer l’impact économique des organisations dirigées et soutenant la communauté noire en Californie, en particulier dans la région du sud de l’État, comme Los Angeles et l’Inland Empire.
Valoriser l’impact économique des organisations noires
« Notre raisonnement est que si nous parvenons à mettre en avant l’impact économique lié à l’investissement dans ces structures, nous pourrons argumenter que leur soutien n’est pas seulement une question morale ou réparatrice, mais aussi une nécessité économique pour nos communautés et pour l’ensemble de l’État », explique Patterson.
En mai, le NFF et la BEC ont publié leur rapport intitulé « Enquête sur le renforcement de l’économie et des communautés en Californie ». Ce document quantifie les contributions économiques et les défis financiers rencontrés par ces organisations. La majorité des 217 répondants identifient leur structure comme étant dirigée ou engagée en faveur de la communauté noire, avec une prépondérance de 62 % dans le comté de Los Angeles et 17 % dans la région de l’Inland Empire.
« L’objectif de ce rapport est de faire entendre des récits qui illustrent la manière dont ces organisations participent à l’économie de notre pays, souvent sans qu’on en ait conscience », précise Patterson. « Il s’agit aussi de dénoncer l’effacement de notre contribution – comme si notre travail n’était pas essentiel ou que nous pouvions disparaître sans conséquence. Ce n’est absolument pas le cas. »
Ce rapport met en relief le rôle central de ces organismes dans la promotion de l’équité raciale et la fourniture de services fondamentaux, tout en soulignant leur poids dans l’économie locale. Selon ses chiffres, ces associations emploient plus de 4 000 personnes, ont versé 335 millions de dollars en salaires en 2024, et ont contribué au paiement de plus de 22 millions de dollars en taxes sur les salaires.
Les contraintes et les difficultés financières auxquelles font face ces organisations
Malgré leur apport notable, ces structures font face à des insuffisances en matière de personnel, principalement en raison d’un manque de financement. La majorité des responsables (74 %) expliquent que leurs ressources financières leur permettent difficilement de recruter ou de maintenir autant de personnel qu’elles le voudraient. La diminution des fonds fédéraux, notamment ceux destinés aux initiatives DEIA, menace directement leur fonctionnement.
Le rapport souligne également que pour plus de 40 % des organisations interrogées, le principal flux de revenus provient du secteur public. « La réduction des financements publics a un vrai impact, surtout parce que ces structures jouent souvent le rôle de premiers répondants dans leurs communautés », indique Patterson. « Souvent, les populations noires ou défavorisées hésitent à solliciter l’aide directe des administrations, mais se tournent vers ces associations qui sont plus proches et accessibles. »
Les enjeux et la mobilisation pour l’avenir
Face à cette situation, la BEC insiste sur la nécessité de mettre en lumière les actions concrètes entreprises par ces associations et la montée de la demande pour leurs services, malgré la baisse de leurs revenus. « Nous souhaitons garder l’argent dans nos communautés, notamment dans l’Inland Empire et auprès des populations affectées par des maladies comme l’anémie falciforme. Ces personnes rencontrent souvent des difficultés économiques dues aux effets de cette maladie », témoigne l’un des acteurs du rapport.
Le collectif comprend environ 67 organisations dirigées ou soutenant la communauté noire. Pour devenir membre, chaque organisation doit soumettre une demande et remplir certains critères, notamment l’engagement en faveur de l’équité noire. Créé en 2021, le BEC résulte de la volonté de leaders noirs de réfléchir à la manière dont la philanthropie peut soutenir durablement la justice raciale. Son objectif est de renforcer la pérennité de ces organisations en proposant des programmes de soutien variés, tels que la formation en développement institutionnel, la croissance de leur conseil d’administration, la gestion budgétaire ou encore la recherche de financements.
« Nous organisons aussi des espaces structurés pour favoriser la rencontre entre ces organisations et les bailleurs de fonds, car le manque de financement provient souvent d’un déficit de confiance ou de relations », explique Patterson. « Nous créons des opportunités pour qu’ils se découvrent, qu’ils comprennent mieux leur travail, et qu’ainsi, les funders puissent leur faire confiance et les soutenir durablement. »
Perspectives et engagement pour le changement
L’action de la BEC ne se limite pas à la mise en réseau. La structure propose également des formations destinées aux bailleurs de fonds lors de sessions régulières d’apprentissage, afin de les inviter à remettre en question leurs pratiques et à favoriser une approche plus engagée sur les questions de justice raciale et d’équité dans leur financement. Lors de ces échanges, les organizations en zones rurales ou du Inland Empire partagent que leur principale source de revenu provient majoritairement des financements publics (41 %), suivis par les dons individuels (27 %) et le soutien des fondations (18 %).
Ces structures sont généralement de taille modeste : près de 78 % d’entre elles ont un budget opérationnel inférieur à 250 000 dollars, et 84 % disposent de moins d’un demi-million de dollars d’actifs totaux. Cette réalité économique limite leur capacité à faire face aux besoins croissants de leurs communautés.
Toutefois, malgré tous ces obstacles, la volonté d’engagement reste forte. Selon le rapport, 92 % des responsables déclarent continuer ou renforcer leur engagement pour la justice raciale, témoignant d’un profond attachement à leur mission.
Les recommandations adressées aux bailleurs insistent sur la nécessité de soutenir davantage ces associations, en renforçant la visibilité de leur impact économique, et en leur permettant de reconstruire la confiance et de développer des partenariats solides. « Les fondations doivent prendre davantage de risques, oser investir dans ces structures, et ne pas se limiter aux méthodes traditionnelles », encourage Patterson. « Il faut qu’elles développent une vraie collaboration avec ces organisations, pour qu’ensemble, elles puissent faire évoluer la justice raciale et l’équité. »
Une reconnaissance accrue par les acteurs institutionnels
En parallèle, l’État californien et ses représentants commencent à prendre conscience de la contribution économique des associations centrées sur l’équité et la diversité. En mai, le procureur général de Californie, Rob Bonta, avec le soutien d’un groupe de 18 procureurs généraux, a déposé un mémoire en faveur d’un recours contre les décrets de l’administration Trump visant les programmes intégrant divers aspects de l’équité, de l’inclusion et de l’accès.
« En Californie, nous savons que la diversité, l’équité, l’inclusion et l’accès sont essentiels pour garantir que tous les citoyens puissent prospérer et contribuer à la société », a affirmé Bonta dans un communiqué. « La tentative de l’administration Trump de supprimer ces programmes et ces politiques, qui visent à lutter contre la discrimination et à favoriser la croissance économique, est une démarche qui va à l’encontre des valeurs américaines. Ces initiatives sont indispensables pour assurer un environnement sûr, égalitaire et accueillant pour tous. »





